Toute tentative de gérer le monde académique ne fait qu’empirer les choses

par Mike Taylor, 2017, poste sur un blog – Traduction non officielle

Je suis sur Twitter depuis avril 2011 — presque six ans. Il y a quelques semaines, pour la première fois, quelque chose que j’ai tweeté a dépassé le seuil des mille retweets. Et ça me rend vraiment mal à l’aise. Pour deux raisons.

D’abord, ce n’est pas mon contenu — c’est une capture d’écran du Tableau 1 d’Edwards et Roy (2017) :

Tableau 1 : Croissance des incitations perverses en milieu académique

(adapté de Edwards & Roy 2017, Academic Research in the 21st Century: Maintaining Scientific Integrity in a Climate of Perverse Incentives and Hypercompetition. Environmental Engineering Science 34(1):51-61.)

Incitation Effet attendu Effet réel
Nombre de publications des chercheurs Améliorer la productivité de la recherche, fournir un moyen d’évaluer la performance Avalanche d’articles fragmentés, médiocres ou incrémentaux ; méthodes faibles, augmentation des taux de fausses découvertes, sélection naturelle de la mauvaise science (Smaldino & McElreath, 2016) ; qualité de la revue par les pairs réduite
Nombre de citations Récompenser le travail de qualité qui influence les autres Listes de références allongées pour gonfler les citations ; les reviewers demandent la citation de leurs propres travaux durant la revue
Financements de projets (grants) Assurer le financement des programmes de recherche, promouvoir la croissance, générer des frais généraux Augmentation du temps passé à écrire des propositions, moins de temps pour collecter et analyser les données ; exagération des résultats positifs et minimisation des négatifs
Augmentation de la productivité des doctorants Classement supérieur des écoles, prestige accru du programme Normes abaissées, surproduction de doctorants ; les postdocs sont souvent exigés pour des postes de début de carrière, et les doctorants sont embauchés pour faire le travail des masters
Diminution de la charge d’enseignement pour les chercheurs actifs Nécessaire pour poursuivre des grants compétitifs supplémentaires Demande accrue de professeurs non titulaires et chargés de cours pour enseigner
Scores d’évaluation des étudiants pour les enseignants Améliorer la responsabilité ; assurer la satisfaction des “clients” Réduction de la charge de travail des cours, inflation des notes
Scores aux tests des étudiants Améliorer l’efficacité des enseignants Enseignement ciblé sur les tests ; accent sur l’apprentissage à court terme
Classement des départements dans le magazine U.S. News Renforcer les départements Efforts importants pour tricher et manipuler les classements
Nombre de diplômes BS, MS, PhD délivrés Promouvoir l’efficacité ; éviter que les étudiants restent trop longtemps dans les programmes ; impressionner la législature d’État Augmentation de la taille des classes ; baisse des critères d’entrée ; baisse des exigences de diplôme
Heures-crédits / heures de contact (SCH) des étudiants Mission d’enseignement de l’université remplie Multiplication des jeux pour maximiser les SCH ; duplication des cours

Ensuite, c’est terriblement déprimant.

Le problème est bien connu, et d’ailleurs nous en avons déjà parlé ici : dès que vous essayez de mesurer la performance des gens, ils vont se mettre à optimiser ce que vous mesurez, au lieu de concentrer leurs meilleurs efforts à faire du bon travail.

En fait, ce phénomène est tellement connu et bien compris qu’il a reçu au moins trois noms différents selon les personnes :

Comme je le dis, c’est bien connu. Il y a même un terme pour cela en théorie sociale : la réflexivité. Et pourtant, nous persistons à faire des choses idiotes qui ne peuvent aboutir qu’à ce résultat :

Alors, quelle est la solution ?

Je lis depuis un moment l’excellent blog de l’économiste Tim Harford. Cela a commencé avec son livre encore plus remarquable The Undercover Economist (Harford 2007), qui m’a donné un cours accéléré sur le fonctionnement des économies, le rôle des marchés, leurs failles, et bien plus encore. Je ne peux que recommander ce livre : c’est un de ceux que tout le monde devrait lire, tant les questions qu’il aborde sont importantes et omniprésentes, et les explications de Harford sont limpides.

Dans un article récent, Why central bankers shouldn’t have skin in the game, il explique ceci :

Le principe de base de tout système d’incitation est : peut-on mesurer tout ce qui compte ? Si ce n’est pas possible, alors des incitations financières puissantes ne feront que produire du court-termisme, du sectarisme ou carrément de la fraude. Si un travail est complexe, multifacette et implique des arbitrages subtils, la meilleure approche est d’embaucher de bonnes personnes, de les payer au prix du marché et de leur demander de faire le travail du mieux qu’elles peuvent.

Je pense que cette dernière partie correspond assez bien à la manière dont l’académie fonctionnait il y a quelques décennies. Je ne veux pas verser dans la nostalgie ou voir tout en rose — d’autant que je n’y étais même pas impliqué à l’époque et ne sais pas vraiment comment c’était. Mais se pourrait-il… se pourrait-il que la meilleure façon d’obtenir de bonnes recherches et publications des chercheurs soit tout simplement d’embaucher de bonnes personnes, de les payer correctement et de leur demander de faire le travail du mieux qu’elles peuvent ?

Version originale sur le blog Sauropod Vertebra Picture of the Week